Le PCI dans les musées

Publié par Camille

Il est important de noter que les musées d’ethnographie n’ont pas vu le jour en même temps que la Convention UNESCO de 2003. Le musée ethnographique de Neuchâtel, par exemple, existe depuis le début du XXème siècle[1]. Cependant, la Convention a contribué à l’apport de l’immatériel dans les musées. On a du mal, encore aujourd’hui, à concevoir l’intangible dans un lieu d’exposition où l’objet matériel est roi. Le PCI amène, encore une fois, les spécialistes à se poser de nouvelles questions pour sa valorisation dans des lieux où on ne l’attend pas.

Les « nouvelles muséologies »

Au cours des trois dernières années, de nombreux débats ont été menés autours des enjeux provoqués par le PCI dans le milieu muséal. Les spécialistes tentaient de comprendre la manière dont le PCI pouvait participer au phénomène des « nouvelles muséologies[2] ». Ces nouvelles muséologies se caractérisent par la volonté des muséologues de valoriser les objets en s’intéressant davantage à leur mode de fabrication et ce qu’ils représentent dans la culture du groupe auquel ils sont rattachés. Ainsi, le PCI provoque un nouvel élan muséal en modifiant « le rapport à l’objet ». Il n’est plus un simple artefact exposé dans une vitrine. Il suscite davantage de communication et d’échange par le biais d’une médiation et n’est plus simple objet de contemplation[3].

Le musée devient vivant !

La démarche va au-delà de l’exposition de l’objet, comme on a pu la connaitre jusqu’à maintenant, puisqu’elle fait entrer le vivant, dans un lieu considéré encore par beaucoup de personnes, comme poussiéreux, figé, mort. L’intégration du PCI dans les musées permet d’aborder la problématique de la conservation au-delà de l’aspect physique de l’objet (question méconnue du public). Les pratiques et les expressions qui en découlent permettent de sensibiliser davantage le public à la transmission et la sauvegarde par la communication.

Mariannick Jadé a travaillé sur la question de l’immatériel dans les musées et notamment sur les conséquences de la démarche scientifique dans la réflexion, liée au rôle des musées quant à la fonction même de l’objet, permettant ainsi d’en appréhender l’aspect vivant. Comme elle le rappelle dans son ouvrage, les cabinets de curiosités des princes étaient les premiers musées durant l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècles). Ils représentaient la puissance du prince à travers des réflexions sur les politiques et sur le monde qui les entouraient. Le concept du patrimoine matériel, fruit de ces pensées, s’est forgé tout au long de cette période[4]. La « conscience du devenir » a, par la suite, contaminé les musées, dits « modernes », tels qu’on les connait aujourd’hui. Les musées ont, depuis lors, subi l’influence des changements sociétaux, avec les variations des mentalités occidentales, le progrès des nouvelles technologies etc. Le musée traditionnel a donc progressivement glissé vers un musée des mémoires vivantes[5], dans lequel le PCI trouve sa place à côté des objets patrimoniaux matériels. En bref, Mariannick Jadé affirme que l’institution muséale a servi de tremplin pour l’appréhension et les recherches sur le « patrimoine ». Elle décrit le fait que les musées ont été pendant longtemps considérés comme des « conservateurs de passé[6] ». Sa réflexion s’articule autour de l’idée que les musées ont un rôle précurseur dans la recherche de repères d’identité pour les jeunes générations qui décideront par la suite de perpétuer ou non les pratiques et expressions[7]. L’important est qu’elles soient sensibilisées à la construction de leur histoire.

L’exemple Nord Américain : les musées de société et les musées de la mémoire vivante

Les musées de la mémoire vivante sont très populaires au Québec notamment. Il s’agit d’une muséographie particulière, puisqu’elle a tendance à mettre en avant le récit plutôt que l’objet matériel lui-même[8]. La vision de l’objet n’est donc pas la même que dans les musées d’Europe, réputés pour centrer leur intérêt sur les chefs-d’œuvre de l’humanité[9]. En Amérique du Nord, l’objet est mis en valeur par l’histoire qu’il raconte et aux perspectives qu’il projette, rattachées principalement à la culture populaire. Ces deux visions entre les deux espaces géographiques sont liées à une relation différente à l’histoire. Les musées québécois s’intéressent particulièrement aux objets de la vie quotidienne retrouvés du temps de la Nouvelle-France, héritage marquant dans l’esprit collectif. C’est le cas des collections du musée de la Civilisation à Québec, riches d’objets datant de l’époque du Régime Français. On retrouve le même schéma aux Etats-Unis. On remarque dans les musées du Québec, une muséologie liée au cinéma, où les témoignages sont mis en scène et les savoir-faire et tradition scénarisés[10]. Les musées de sociétés sont donc très appréciés de la population québécoise, qui y puise ses racines et y retrouve des éléments de son identité. L’objet n’y est pas exposé pour lui-même, mais pour ce qu’il évoque. C’est une forme de résonnance avec les principes défendus par la Convention.

Le PCI dans les musées

Un exemple français : le musée du Quai Branly

L’entrée du PCI dans le musée en fait un lieu de sociabilité, où l’on peut découvrir des spectacles vivants, des démonstrations, des ateliers participatifs, des espaces de convivialités. C’est le cas du musée du Quai Branly qui a, ces dernières années, développé sa programmation tout en valorisant ses collections.

Certes, l’aspect matériel est dominant, mais le musée a ce côté innovant par la richesse des évènements mis en place. Il est ainsi possible d’assister à une exposition photos sur la Colombie ou admirer des clichés du monde entier, mais aussi découvrir le spectacle nouvelles danses urbaines d’Afrique du Sud[11].

Le PCI dans les musées
Le PCI dans les musées
Le PCI dans les musées

De nombreuses activités pour les familles et jeunes publics sont aussi organisées, garantissant une médiation sur l’objet présenté, mais également sur l’histoire et les pratiques de cet objet.

Dans le cadre « des jardins d’été », il est possible d’assister à la lecture de contes dans le jardin du musée. L’exemple du musée du Quai Branly, témoigne des différents moyens d’intégration du PCI dans un lieu dédié à la conservation dans l’imaginaire collectif. C’est à présent un endroit d’échanges et d’expression culturelle. Il ne faut pas pour autant négliger le travail en amont nécessaire à l’établissement de ce musée imaginé par Jean Nouvel. Il y a tout de même en filigrane un caractère politique marqué, avec notamment les polémiques manifestées avant l’ouverture du musée en 2006 (le terme employé « d’art premier »), et après l’ouverture (certains objets, comme les têtes Maories ont été réclamées depuis plusieurs années par la Nouvelle-Zélande). Il est possible de penser que le musée a été érigé dans une seule visée politique dans le but de se décomplexer du passé colonial de la France, et ainsi porter une valorisation culturelle sur l’Autre.

Cependant, on ne peut pas nier l’innovation de la programmation du musée du Quai Branly, allant au-delà de la richesse des collections matérielles. L’institution a d’ailleurs convenu d’un accord de partenariat avec l’UNESCO dans le but d’encourager la connaissance de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel de 2003[1]. Le musée du Quai Branly n’est pas le seul à adopter les principes de la Convention : par exemple le musée d’ethnologie régionale de Béthune adhère depuis avril 2013 à la vision du PCI définie par l’UNESCO[2], preuve que la Convention suscite toujours les intérêts des institutions.

Qu’il s’agisse des musées, des collectivités locales ou d’associations œuvrant pour le PCI, tous cherchent à valoriser et diffuser les traditions vivantes de manières originales et pertinentes.

[1] Carnet de recherches par OpenEdition : http://pciich.hypotheses.org/654

[2] Article complet : http://www.echo62.com/actu-bethune-le-musee-d-ethnologie-regionale-adhere-au-pci-

[1] http://www.men.ch/musee-histoire-lieux

[2] Carnet de recherche en ligne proposé par OpenEdition, à propos d’un atelier intitulé « Atelier Patrimoine culturel immatériel et musées, tenu au musée du Quai Branly à Paris en janvier 2010 : http://pciich.hypotheses.org/618

[3] Id.

[4] Mariannick Jadé, Patrimoine immatériel, perspective d’interprétation du concept de patrimoine, op. cit., p. 179-180.

[5] Ibid., p. 180.

[6] Ibid., p. 210.

[7] Id.

[8] Yves Bergeron, « L’invisible objet de l’exposition, dans les musées de société en Amérique du Nord », Ethnologie française, XL, 2010, 3, p. 401.

[9] Id.

[10] Ibid., p. 405.

[11] Les affiches qui suivent sont issues du sites internet du Musée du Quai Branly : http://www.quaibranly.fr/fr/programmation/expositions/prochainement/photoquai.html

Source images: site web du musée du Quai Branly.

Cette étude est tirée de mon mémoire intitulé Le Patrimoine Culturel Immatériel et le label UNESCO: Dix ans après, effets et conséquences sur la sauvegarde et la valorisation, Réalisé dans le cadre du master professionnel "Patrimoines, musées, multimédia" de l'Université de Poitiers. (année 2012/2013)

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